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     Tony Curtis

     

     

      

      

     

      

      

    Tony Curtis fut à n’en pas douter l’un des grands acteurs de sa génération, doté d’un charisme tout à fait spécial et d’un jeu souvent très naturel. Il fait hélas partie de ces stars déchues dont aujourd’hui on se souvient à peine. Car en France notamment, le grand public se rappelle de lui pour la série Amicalement vôtre, tout en négligeant une filmographie plus que prometteuse, déjà puissante, parfois exigeante.

     

      

      

      

    Du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, Curtis a enchainé les projets captivants, passionnants même, partageant l’affiche avec certains des plus grands acteurs de l’époque, de Burt Lancaster à Kirk Douglas en passant par Gregory Peck. D’homme de la rue, il est devenu homme de cinéma, un véritable acteur complet, situé bien loin des clichés entourant sa beauté de jeune homme séduisant et tapageur.

      

      

    Il n’eut pas le destin tragique d’un James Dean, mort trop tôt après seulement trois films. Il n’eut pas non plus le destin d’une star durable, à l’image des acteurs mythiques avec lesquels il a pu travailler. Il embrassa la gloire dans une fulgurante ascension, contre vents et marées, face aux studios régulièrement incapables de l’employer à sa juste valeur. Il redescendit de son piédestal presque aussi vite qu’il y fut monté et, dès la fin des années 1960, entama une suite de carrière aussi sombre que très inégale. Voici un petit retour sur ce qui a constitué le principal de sa filmographie...

      

     

     

    Dans les années 1950, à la suite d’une montée en puissance au travers de seconds rôles et apparitions remarquées, Tony Curtis tourne dans tous les genres avec brio, s’approprie tous les rôles, et n’hésite pas à s’avilir ensuite dans la peau de personnages peu fréquentables. Le Fils d’Ali Baba (1952, Kurt Neumann), Houdini le grand magicien (1953, George Marshall), Le Chevalier du roi (1954, Rudolph Maté) et Le Cavalier au masque (1955, H. Bruce Humberstone) font de lui une star en devenir, lisse, juvénile, fougueuse, sorte d’alternative aux héros bondissants qui font la joie du public et trouvent leurs traits en les visages d’Errol Flynn (1) ou de Burt Lancaster. Athlétiques, bondissants, acteurs remarquables à tous les niveaux, des monstres de charisme que Curtis rêve d’égaler.

     

      

      

      

    Mais la Universal l’enferme dans un rôle d’aventurier au sourire éclatant et au caractère enflammé duquel il n’aspire pourtant qu’à sortir. Il tente bien entendu l’aventure du western, avec Les Années sauvages (1955, Rudolph Maté) ; et en dépit du très bon drame social La Police était au rendez-vous (1955, Joseph Pevney), Curtis demeure le jeune premier faisant la une des journaux pour teenagers et des magazines de mode.

      

     

     

    Fort heureusement, c’est Burt Lancaster qui lui fera confiance et l’engagera dans un film qu’il produit lui-même. (2) En 1956, Trapèze sera donc l’occasion pour Tony Curtis de déployer non seulement ses talents d’acrobate mais aussi ses talents d’acteur dramatique aux côtés d’une immense star. Dès lors, les portes s’ouvrent et les films plus matures lui parviennent. L’année suivante, il enchaine avec une comédie dramatique de Blake Edwards, L’Extravagant monsieur Cory, et surtout avec un chef-d’œuvre,

     

      

     

     

    Le Grand chantage d’Alexander MacKendrick. Encore une fois aux côtés de Burt Lancaster, il rayonne et fait jeu égal avec lui, grâce à une interprétation remarquable qui fera date dans sa filmographie. Film social, avec en ligne de mire le milieu de la presse et des relations publiques, Le Grand chantage est le genre d’uppercut émotionnel que Lancaster affectionne tout particulièrement. D’une justesse à toute épreuve, le film dévore ses personnages, qu’il s’agisse du granitique et impressionnant Lancaster ou de la petite frappe arriviste personnifiée par Curtis, rien ni personne n’en ressort indemne.

      

    Cynique, arrogant, nihiliste même, décrivant un monde où la fraicheur et l’innocence ne peuvent pas survivre, à moins de s’en échapper. Plus qu’aucun autre film auparavant, Le Grand chantage offre à Tony Curtis ce après quoi il courait sans relâche jusqu’ici, la reconnaissance de son travail d’acteur.

     

     

     

      

    L’année 1958 sera énorme, avec quatre films dont au moins deux chefs-d’œuvre. Dans Les Vikings de Richard Fleischer, Tony Curtis joue face à Kirk Douglas et met le Moyen Âge sens dessus dessous. Le film reste encore aujourd’hui l’un des plus grands jamais produits sur cette période de l’histoire, grâce à son souffle insurpassable, ses couleurs flamboyantes, sa violence inattendue, sa musique entrainante et sa réalisation ébouriffante. La Chaîne de Stanley Kramer lui permet de jouer face à Sidney Poitier, dont l’aura n’en finit plus de monter également. Un criminel blanc et criminel un noir s’échappent d’un fourgon de police, menottés l’un à l’autre.

      

      

      

      

      

    Ils devront s’entraider malgré le racisme, les autorités à leurs trousses et la violence qu’ils rencontreront, pour enfin transcender leur différence dans une belle union fraternelle. Beau plaidoyer pour l’amitié interraciale dans une Amérique encore largement soumise au racisme, surtout dans certains Etats (3), le film fait l’effet d’une bombe.

      

      

      

    Moins fort, mais presque aussi marquant, Diables au soleil de Delmer Daves permet à Tony Curtis de jouer face à Frank Sinatra qui, de son côté, ne cesse d’améliorer ses très fortes performances d’acteur. Il s'agit d'un film de guerre différent, traversé d’une superbe histoire d’amour, renouvelant encore avec talent la vision d’un conflit pourtant maintes fois porté à l’écran. Curtis y est aussi impeccable que repoussant.

     

      

      

      

    Puis vient une comédie, toujours signée Blake Edwards, Vacances à Paris, sans audace mais amusante. En 1959, Curtis est à son zénith et partage l'affiche avec Jack Lemmon et Marilyn Monroe dans l’une des comédies américaines les plus populaires de tous les temps, Certains l’aiment chaud de Billy Wilder.

     


     


     

      

      

    Si Lemmon  par sa gouaille redoutable, il ne faudrait pas pour autant minorer l’impact du jeu très inspiré et très différent de Tony Curtis.

     

      

      

    Sur fond de prohibition, cette comédie délurée raconte les aventures de deux hommes obligés de se travestir afin d’échapper à la pègre de Chicago. Déguisés en femme, les deux personnages intègrent un orchestre féminin et s’en vont pour la Floride. Mais leurs mésaventures ne font que commencer…

     

      

      

    Un florilège de scènes cultes et un admirable chef-d’œuvre au bout du compte, malgré son sujet considéré comme graveleux à l’époque de son tournage. La même année, bien plus anodin reste Opération jupons de Blake Edwards, que l’acteur a accepté afin de jouer avec l’une de ses idoles de jeunesse, un Cary Grant toujours aussi fringant mais alors en fin de carrière. Poussive, cette comédie ne décroche aujourd’hui que quelques sourires pour les spectateurs les moins exigeants.

     

     

     

      

    Quoique fort bien démarrées, les années 1960 ne vont néanmoins pas renouveler l’extraordinaire poussée de l’acteur à la fin de la décennie précédente. Il tourne cependant Qui était donc cette dame ? (1960, George Sidney), hilarante comédie dans laquelle il donne la réplique à un Dean Martin plus drôle que jamais, et Spartacus (1960, Stanley Kubrick), péplum incendiaire qui lui permet de croiser à nouveau la route de Kirk Douglas.

     

      

      

      

      

    Curtis tourne ensuite deux comédies romantiques sous la direction de Robert Mulligan (Les Pièges de Broadway en 1960 et Le Roi des imposteurs en 1961), un cinéaste alors en passe d’être auréolé de gloire pour Du silence et des ombres avec Gregory Peck (4), puis sous celle de Jack Lee Thompson, très bon technicien lui-même dans sa meilleure période (5), pour Taras Boulba, malheureusement un piètre film d’aventures.

     

     

      

     

    Par la suite, il est enfermé dans une succession de comédies romantiques qui limitent une nouvelle fois ses horizons. Malgré un cameo dans Le Dernier de la liste de John Huston (aux côtés de Burt Lancaster, Kirk Douglas, Frank Sinatra ou encore Robert Mitchum) et un très joli rôle dans le sublime drame de guerre Le Combat du Capitaine Newman de David Miller, aux côtés de Gregory Peck, il ne reçoit plus que des propositions de personnages peu ou prou loufoques et embarrassés par la gent féminine. Pour des films souvent proches des comédies familiales tournées par Doris Day avec Rock Hudson ou James Garner, mais qualitativement moindres.

     

      

    Si les réalisateurs restent parfois prestigieux, il n’en reste pas moins une flopée de films relativement mineurs et sans génie, quoique sympathiques et divertissants, et tournés aux bras de splendides actrices telles que Debbie Reynolds et surtout Natalie Wood. Des ennuis à la pelle (1962, Norman Jewison),

      

    Au revoir Charlie (1964, Vincente Minnelli), Une vierge sur canapé (1964, Richard Quine), Surtout pas avec ma femme (1966, Norman Panama), et Comment réussir en amour sans se fatiguer (1967, Alexander MacKendrick) usent son charme jusqu’à la corde et le privent de prestations originales. Le fond est atteint avec Boeing Boeing, une comédie qu’il assure avec un Jerry Lewis en perte de vitesse.

     

      

      

    Blake Edwards lui offre cependant un chef-d’œuvre de la comédie qui sort du lot, La Grande course autour du monde en 1965. Ecrasé par un Jack Lemmon au sommet de son talent comique et continuellement présent à l’écran, évincé par la fraicheur et la beauté explosive de Natalie Wood, écopant d’un rôle de bellâtre parodique au sourire plus blanc que blanc et au caractère trop parfait, Curtis s’en tire encore une fois admirablement, parvenant tout de même à imposer son style.

      

     

     

      

    La fin des années 1960 arrive et Tony Curtis se sent de plus en plus proche de la porte de sortie des studios. Il donne alors tout son talent et ses espoirs dans un film qui devrait le remettre en selle, L’Etrangleur de Boston en 1968. De nouveau sous la direction de Richard Fleischer qui signe avec cette œuvre l’un des plus grands films policiers des années 1960-70, Curtis se livre complètement à son art dans le rôle d’un meurtrier schizophrène s’attaquant à des femmes.

      

    Non seulement le film est à lui seul un exercice de style totalement abouti, grâce notamment à sa mise en scène extrêmement intelligente (une utilisation du split-screen comme rarement on en aura apprécié, faisant évoluer très utilement l’histoire), mais en plus l’interprétation de Tony Curtis est-elle la plus forte et la plus belle de toute sa carrière.

     

      

      

    Il      suffit d' observer sa dernière scène, dix minutes de jeu comme le cinéma hollywoodien en aura livrés dans ses plus intenses moments, pour se rendre compte de la totale maîtrise du très grand acteur véritablement méconnu que fut Curtis. La profession lui reconnait alors une belle estime et le public, même s’il ne s’engouffre pas en masse dans les salles pour voir le film, est impressionné. Malgré tout, les projets ne viennent pas, et c’est vers l’Europe que Curtis se tourne, à la manière de stars américaines sur le déclin à cette époque-là, telles que Henry Fonda. Les Baroudeurs (1970, Peter Collinson) lui offre la tête d’affiche aux côtés de Charles Bronson alors très populaire en Europe, ainsi qu’un joli succès financier sur le vieux continent. Traversant ce modeste film d’aventures, Tony Curtis apparait en blouson de cuir et livre une prestation détendue, préfigurant de quelques mois son rôle futur dans la série culte Amicalement vôtre.

      

     

     

      

    C’est bien de la télévision que viendra le salut, en tournant les 24 épisodes de la série Amicalement vôtre, avec Roger Moore, acteur anglais très populaire auprès du public européen, grâce surtout à son rôle de Simon Templar dans la série TV Le Saint. Amicalement vôtre propose un concept de série très original, en narrant les aventures d’un Américain parvenu et d’un Anglais de noble famille. Choc des cultures, dialogues cultes, rebondissements savamment orchestrés au sein de scénarios riches en péripéties, metteurs en scènes expérimentés, tournages en extérieurs et musique inoubliable ! Le tournage dure un an, le succès de la série dure jusqu’à aujourd’hui.

      

    Culte dès sa première diffusion, cette première et unique saison déchaine les foules dans toute l’Europe, et même jusqu’en Australie. Son cocktail d’humour et d’aventure, d’action et d’évasion, ne laisse personne indifférent. Mais son manque de succès aux USA et l’annonce de la prise du rôle de James Bond au cinéma par Roger Moore mettent un terme définitif à l’avenir de la série. Restent 24 joyaux que le temps a rendu encore plus agréables, grâce entre autres à son incroyable doublage français, très amusant et inventif. Retour à l’ordinaire donc, pour Tony Curtis.

      

    Il ne tournera plus que des films indignes de son talent, de moins en moins utilisé. Excepté Lepke le caïd (1975, Menahem Golan), Le Dernier nabab (1976, Elia Kazan) et Le Miroir se brisa (1980, Guy Hamilton), l’acteur n’apparaitra que dans des œuvres sans grand intérêt, y compris dans sa pléthorique participation à des téléfilms et séries TV.

     

      

      

      

    (1) Errol Flynn était l’une des idoles de Tony Curtis qui, alors à peine adolescent, faisait tout pour voir chacun de ses films d’aventures à leur sortie. Dans les années 1950, Flynn ne fait plus partie du système. Exilé en Europe et sur les mers, notamment et surtout pour des raisons financières, l’acteur ne reviendra qu’à la fin de la décennie à Hollywood et tournera trois films de fin de carrière relativement marquants, avant de disparaître, usé par l’aventure de plusieurs vies consumées en une seule.

      

    Toutefois, l’esprit de ses films d’aventures semble survivre dans la production des années 1950, et certains studios produisent de nouveaux films de chevaliers, de pirates et de corsaires, plus ou moins réussis, parfois adultes, parfois naïfs, mais avec panache. Curtis profitera de cette vague grâce à quelques films (cités ci-dessus) qui feront sa gloire.
    (2) Hill-Hecht-Lancaster Prod., à l’origine de la production de plusieurs films, parmi les meilleurs de Burt Lancaster : Bronco Apache, Vera Cruz, Trapèze, Le Grand chantage, L’Odyssée du sous-marin Nerka, Tables séparées, Elmer Gantry le charlatan...

    (3) Rappelons que le film sort bien avant la marche pour les droits civiques qui aura lieu en 1963, année où, par ailleurs, Sidney Poitier incarnera le rôle principal du film Le Lys des champs de Ralph Nelson, qui lui donnera l’Oscar du meilleur acteur.
    (4) Gregory Peck obtiendra l’Oscar du meilleur acteur pour ce film sorti en 1962.
    (5) Jack Lee Thompson vient de réaliser Les Canons de Navarone en 1961, un triomphe commercial mondial, et Les Nerfs à vif en 1962.

      

      

      

    SOURCES :

     ARTICLE ECRIT

    Par Julien Léonard- le 24 août 2012

     

    http://www.dvdclassik.com/article/portrait-de-tony-curtis

     

     

     

     

     

     

     

      

     

     

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