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    Gaspard Ulliel:

    "L'image systématique de beau gosse m'ennuie parfois"

    Par Anne-Laure Quilleriet (L'Express), publié le 24/09/2010 à 07:00

    L'acteur sera le 10 novembre à l'affiche de La Princesse de Montpensier, de Bertrand Tavernier. En attendant, il livre son attachement pour le cinéma, la mode et la photographie.

     

      

    Gaspard Ulliel: "L'image systématique de beau gosse m'ennuie parfois"

      

    Gaspard Ulliel au 63e Festival de Cannes pour "La Princesse de Montpensier" de Bertrand Tavernier.

    REUTERS/Vincent Kessler

      

    La première fois qu'on a repéré Gaspard Ulliel au cinéma, c'était en adolescent écorché dans le film de Michel Blanc, Embrassez qui vous voudrez. Cet automne, le comédien de bientôt 26 ans déchaîne la passion de Mélanie Thierry dans La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier, l'une des sorties les plus attendues. Un drame des sentiments au coeur d'une France déchirée par les guerres de religions, qui lui a valu de fouler pour la seconde fois, en compétition officielle, les marches du festival de Cannes, sept ans après Les Egarés, d'André Téchiné. César du meilleur espoir masculin en 2004 pour son personnage de Manech dans Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, il a depuis jonglé d'un registre à l'autre, aussi à l'aise en paysan révolté dans Jacquou le Croquant qu'en Hannibal Lecter.

     

    Adolescent, comment avez-vous débuté dans le cinéma?

    Une amie de ma mère ouvrait une agence et elle cherchait des jeunes comédiens. J'y suis allé par hasard. J'ai décroché des petits rôles dans des téléfilms dont le tournage me prenait une semaine ou dix jours pendant les vacances scolaires, car mes parents ne voulaient pas que je manque l'école. J'ai aimé l'ambiance sur les plateaux, cet esprit de famille et d'aventure autour d'une même finalité. Le premier déclic a été le téléfilm Julien l'apprenti, en 2000, lorsque j'ai vraiment saisi ce qu'était le travail d'interprétation. Après mon bac ES, j'ai suivi une fac de cinéma à Saint-Denis, en pensant plutôt m'orienter vers la réalisation. Je l'ai interrompue avec la sortie des Egarés, d'André Téchiné, j'ai alors décidé de me consacrer au métier d'acteur. Si j'avais eu à choisir une autre voie, mon goût pour le dessin m'aurait sans doute orienté vers l'architecture et l'urbanisme, qui façonnent le regard des gens et participent à créer le futur.

     

    Dans La Princesse de Montpensier, vous interprétez le duc de Guise. Qu'est-ce qui caractérise le personnage?

    A la première lecture, je l'ai trouvé limpide : sa complexité m'est apparue au fur et à mesure. Il est direct, franc et droit, mais ce qui le définit le mieux, c'est la rage qu'il emploie à se rapprocher du trône. Les Guise sont nés avec la place marquée et une autorité naturelle. Je le compare à un lion dans la jungle, qui s'affranchit du pouvoir et des lois. Il existe beaucoup par ses mouvements et sa présence physique, d'où son importance dans le cadre : on voit souvent un bout d'épaule, sa nuque, ses cheveux. Sa relation avec Marie de Montpensier est forcément inscrite dans sa quête du pouvoir, mais la passion existe d'une façon fougueuse en lui.

    Justement, si l'intrigue se déroule en 1562, l'approche des sentiments est étonnamment moderne.

    La modernité vient déjà de la pléiade de jeunes acteurs qu'a réunie Bertrand Tavernier. Dans les films d'époque, on a souvent tendance à mettre des personnages assez mûrs pour interpréter des gens qui accédaient à des responsabilités très jeunes. En réalité, les protagonistes de cette histoire avaient à peine 20 ans. La nouvelle de Madame de Lafayette peut sembler datée et assez froide dans l'écriture pour un lecteur contemporain, mais Bertrand et Jean Cosmos ont fait un très beau travail de dialoguistes. Les textes sont crédibles par rapport à la période, tout en étant suffisamment fluides pour éviter de surjouer. Moi qui ai eu souvent des rôles peu bavards, j'ai pris plaisir à jouer avec ces mots. Même les scènes de combats, préparées avec un régleur de cascades qui a l'habitude des films d'action, s'éloignent de la tradition des films de cape et d'épée et donnent l'impression d'une chorégraphie.

    Dans un tout autre registre, on vous retrouve cette rentrée dans le film publicitaire du parfum Bleu de Chanel, réalisé par Martin Scorsese. Comment avez-vous vécu cette expérience?

    J'ai travaillé avec lui pendant cinq jours à New York. Il a pris part au projet à 100 %, en envoyant des références visuelles et un synopsis très détaillé : des photos des Stones jeunes ou de Bob Dylan, des images de nuit extraites de ses films avec un grain un peu bleuté... La marque des grands, c'est cette précision. Il tourne peu de prises, il parle très vite, avec 40 000 idées à la seconde... C'est un vrai chef d'orchestre, que tout le monde suit à la note près. Il y avait une énergie incroyable sur le plateau, c'était très vivant.

    Comment s'est passé votre premier entretien?

    Je suis arrivé plusieurs jours avant le tournage et son emploi du temps était tellement chargé qu'il a fallu décaler le rendez-vous trois ou quatre fois. Je l'ai rencontré dans son bureau, un soir, et c'était extraordinaire de voir tous ses films entassés sur les étagères ! Il m'a même montré Shutter Island en avant-première dans sa salle de projection. Il y a une vraie douceur dans son regard et sa façon de s'exprimer.

     

    Quel est votre film favori de Scorsese?

    Taxi Driver reste un souvenir fort. C'est le premier film de lui que j'ai vu, en cassette VHS, dans un hôtel à New York, lors de l'un des premiers voyages que je faisais seul. Récemment, j'ai découvert After Hours, un de ses seuls longs-métrages de commande mais qui correspond à son cinéma avec toute la paranoïa du personnage principal.

     

    Et votre personnage préféré?

    Les interprétations de Robert de Niro m'a évidemment bluffé, mais aussi celles de Leonardo DiCaprio, qui a apporté quelque chose de nouveau dans le cinéma de Scorsese. J'avais un peu de mal avec son image de minet du début, à l'époque de La Plage et du Titanic. Il a su évoluer par la rigueur de ses choix et un jeu subtil.

    On vous a vous aussi catalogué dans la catégorie des belles gueules du cinéma...

    L'image systématique de jeune premier et de beau gosse m'ennuie parfois, mais j'ai le sentiment de m'en émanciper par le choix de rôles non stéréotypés et d'une certaine profondeur. Je suis conscient que cette impression est accentuée par ma relation avec le monde de la mode.

     

    Vos parents travaillent d'ailleurs dans ce secteur?

    Mon père est designer dans le sportswear, ma mère est styliste free-lance sur des défilés ou des émissions de télé. Ils m'ont apporté une créativité et une curiosité artistiques. Enfant, je dessinais et je peignais avec mon père. L'ouverture d'esprit de mes parents fait qu'ils n'ont jamais été effrayés par mon envie de m'orienter vers le cinéma.

     

    Quel est votre rapport au vêtement?

    Je peux être ému par une belle silhouette, mais je ne suis pas les tendances de façon assidue. Quand j'ai commencé, mon physique fluet et androgyne était en phase avec la mode d'Hedi Slimane pour Dior. Il m'a habillé dès ma première nomination aux Césars. Avec le temps, mon corps et mon image ont changé et j'ai aujourd'hui envie d'une certaine décontraction. Je suis assez ami avec le créateur new-yorkais Adam Kimmel. Pour les costumes, j'aime beaucoup ce que fait Lanvin. Dans un film, le vêtement aide à exprimer bien des choses, sur l'époque et les caractères. Pour La Princesse de Montpensier, on a joué sur les codes couleurs. Mon personnage était vêtu dans les noirs et gris, le prince de Montpensier [Grégoire Leprince-Ringuet] dans les verts et le duc d'Anjou [Raphaël Personnaz] dans les rouges. Même la couleur des chevaux était étudiée...

     

    En plus des réalisateurs, beaucoup de photographes vous sollicitent. C'est une discipline qui vous intéresse?

    La photo me touche beaucoup. J'ai commencé à en faire vers 14-15 ans, avec un vieux Reflex de mon père, entraîné par mon meilleur ami. C'est un hobby que j'ai pratiqué longtemps. Je faisais beaucoup de portraits des personnes qui venaient chez moi et sur les tournages. Ça agaçait presque Jean-Pierre Jeunet que j'en prenne autant sur Un long dimanche de fiançailles, mais c'était incroyable de se retrouver à jouer dans des tranchées. Quand j'apportais mes clichés à développer le week-end, ils hallucinaient de voir des scènes de guerre avec des poilus et des cadavres... Le numérique m'a un peu freiné, j'aimais les tirages et les odeurs de labo. J'en fais moins aujourd'hui, mais je prends un certain plaisir sur les séances de mode, parce que je comprends mieux la lumière, les cadrages et l'intention d'un photographe. Je suis un inconditionnel de Robert Frank et j'aime aussi Saul Leiter, ses visions presque abstraites avec des choses du quotidien dans le livre Early Color, ou Immediate Family de Sally Mann et les photos parfois dérangeantes de ses enfants.

     

    Aujourd'hui, quel type de cinéma vous tente?

    Ça me plaît de surprendre. En France, le cinéma fonctionne un peu par famille et c'est assez difficile de passer de l'une à l'autre. J'ai toujours eu l'envie de voyager entre les univers et de m'orienter vers des rôles dans lesquels on ne m'attend pas. Cela demande aux metteurs en scène de prendre des risques. Je me mets, par exemple, à m'intéresser à la comédie, qui est le genre que j'avais le plus de mal à aborder, même en tant que spectateur.

    Vos projets?

    J'ai besoin d'une respiration entre chaque film, pour vivre tout simplement, et me nourrir de ce vécu. J'essaie de voyager dans des pays différents. Mon métier m'offre aussi cette chance : la durée des séjours permet de s'attacher aux gens et à la culture, comme pour Un barrage contre le Pacifique de Rithy Panh, où je suis resté trois mois au Cambodge. Après un petit rôle dans Fais-moi plaisir, d'Emmanuel Mouret, je vais tourner un deuxième long-métrage avec Eric Forestier, avec qui j'avais fait La Troisième Partie du monde. Le film s'appellera Je tuerais la princesse.

     

     

     

     

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