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    Gary Cooper, un Américain trop tranquille?

    Par Olivier Rajchman (Studio Ciné Live), publié le 13/05/2011 à 16:00

      
      
      
      
    Entre westerns et comédies, il fut le cow-boy le plus chic de l'écran. Séducteur compulsif mais discret, conservateur affiché, Coop dissimulait ses failles derrière une façade lisse et un jeu laconique. Gary, trop pudique ?

     

       

     

    Gary Cooper, un Américain trop tranquille?

    Gary Cooper dans Le cavalier du désert, de William Wyller.

    Prod DB © Samuel Goldwyn Company / DR

      

      

    Longtemps, Coop fut la quintessence du héros américain, chevalier sans peur et sans reproche avec juste ce qu'il faut de cas de conscience et d'ironie pour ne pas sombrer dans le ridicule ou la fatuité... Enfant d'immigrés anglais, Frank James Cooper naît le 7 mai 1901 à Helena, Montana. Son père, juriste, fait l'acquisition d'un ranch, dans le Missouri.

      

    C'est là que le garçon passe ses premiers étés, apprenant à pêcher, à chasser et à monter à cheval. Une parenthèse enchantée qui prend fin lorsque Frank est envoyé, à 8 ans, avec son frère Arthur, dans un pensionnat anglais. Séparé de ses parents, l'enfant est moqué par ses condisciples pour son accent et son allure de paysan. Il finit par s'y faire et adopte les manières de ses cousins d'Angleterre au point que, lorsqu'il rentre en Amérique, trois ans plus tard, le petit sauvage est devenu un adolescent rêveur et galant.

     

      

      

    Délaissant les études, Frank ne se passionne que pour la peinture et le dessin. Il suit toutefois les conseils d'une de ses professeurs qui l'encourage à prendre des cours d'éloquence : "J'étais timide, trop grand pour mon âge, et j'avais conscience de cela. Les leçons de déclamation que j'ai suivies m'ont permis d'acquérir une forme d'assurance et un maintien." Il n'empêche, celui que ses camarades surnomment "Cow-boy Cooper" reste un solitaire incertain de ses dons, qui suit son père et sa mère partis s'installer à Hollywood, en 1924.

      

    "À la différence de nombreux acteurs, dira-t-il plus tard, je n'avais pas la vocation." Assez vite, pourtant, il fait de la figuration, dans le but avoué de financer des études d'art. Engagé comme cascadeur sur des westerns de Tom Mix, Frank, par le biais de relations de son père, est très vite propulsé comédien. Parce qu'il est naïf et timide, on le prend pour un demeuré. Mais il est un test que Cooper passe sans difficulté : celui de la caméra.

      

    Découpant admirablement sa longue silhouette sur fond de grands espaces, décuplant le magnétisme de son regard bleu clair, elle semble l'aimer. Et apprécier son jeu intense et sans effets.

      

      

    Repéré par Sam Goldwyn, qui l'engage pour incarner le héros tragique de Barbara, fille du désert, l'apprenti acteur, rebaptisé Gary Cooper, se voit proposer un contrat par la Paramount. "Nous avons presque dû lui forcer la main", évoquera, amusé, le patron du studio, Jesse Lasky.

     

      

      

    Qu'attend, en fait, de la vie Gary ? Peintre manqué, il accepte désormais d'en faire son passe-temps, à l'ombre d'un métier plus exigeant. Sentimentalement immature, dominé par une mère possessive, il parfait son éducation - et se construit une réputation - auprès des actrices les plus sexy du moment. "Les femmes se battaient afin de le mettre dans leur lit", confirmera le metteur en scène Stuart Heisler. Billy Wilder, qui le dirige dans les années 50, expliquera les raisons de ce succès :

      

     

    "C'était un homme d'une élégance volontairement négligée. Mais c'était un fonceur, et il avait ce truc merveilleux avec les femmes : il les laissait parler et les écoutait." Qu'importent, dès lors, les moqueries d'une de ses conquêtes, Carole Lombard, affirmant : "Dans une conversation, le temps qu'il ouvre la bouche, c'est déjà demain." Cette lenteur apparente constitue, aux yeux du public, un charme supplémentaire. Elle fait passer pour de la tranquillité et de la maîtrise de soi un caractère qu'on jugerait, par ailleurs, emprunté.

     

     

    Gary Cooper lors du Festival de Cannes en 1953.

    Gary Cooper lors du Festival de Cannes en 1953.

    AFP

      

      

    Séducteur malgré lui

        

    Cooper impose ainsi sa présence dans les registres les plus variés. Un stéréotype, pourtant, menace de le figer : celui du militaire héroïque et vertueux qu'il illustre avec un bonheur égal de L'adieu aux armes aux Trois lanciers du Bengale. Mais l'arrivée du parlant, en révélant l'assurance de sa voix, au débit lent et au timbre chaud, enrichit son personnage.

    coop-appreciation:

Gary Cooper and his girlfriend Sandra Shaw at the LA Airport on Nov 11th 1933. The rumor was that Gary and Sandra were to be wed soon. There is a United Airlines airplane in the background.

    coop-appreciation:

    Gary Cooper and his girlfriend Sandra Shaw at the LA Airport on Nov 11th 1933. The rumor was that Gary and Sandra were to be wed soon. There is a United Airlines airplane in the background.

    (via personallyv

     

      

    À la différence d'un Wayne ou d'un Gable, à la virilité exacerbée, Gary Cooper compose une figure paradoxale d'aventurier réfléchi, de conquérant réservé. Si, pour John Barrymore, "ce gars est le plus grand acteur du monde parce que nous mettons une vie à devenir ce qu'il est naturellement : un acteur né", Coop n'a pas conscience de la nature intuitive de son talent.

      

    Déstabilisé par les triomphes du Virginien et de Coeurs brûlés, à deux doigts de la dépression nerveuse, le comédien s'octroie une escapade européenne et séduit, lors de son périple, la comtesse Dorothy di Frasso qui devient sa compagne et lui ouvre les portes des clubs les plus selects du vieux continent.

      

    Il revient en Amérique transformé, épouse Veronica Balfe, héritière new-yorkaise, et relève de nouveaux défis.

     

     Socialite Veronica Balfe and husband Gary Cooper, 1938

     Veronica Balfe and husband Gary Cooper, 1938  

    Alors que la Paramount vient de lui trouver un rival du nom de Cary Grant, Cooper décline son personnage de héros et de séducteur malgré lui dans une série de classiques où son art de "l'understatement" fait merveille, qu'il s'agisse de marivaudage lubitschien (Sérénade à trois), de conte romanesque (Peter Ibbetson), ou de fable capraesque (L'extravagant Mr. Deeds).Partout, son innocence semble triompher :

      

    "Pour être aimé du public, expliquera-t-il, je pense qu'il faut être son idéal, un gars dont on puisse parler comme d'un type bien."

      

    L'acteur n'est pourtant pas infaillible, refusant de jouer dans La chevauchée fantastique, qui échoit à John Wayne, et pronostiquant l'échec d'Autant en emporte le vent,qui fait la gloire de Clark Gable.

     

      

      

    Mais, en 1939, Gary demeure le salarié le mieux payé des États-Unis. Les années de guerre le voient même prospérer, Capra lui conférant une nouvelle humanité dans L'homme de la rue, avant que Sergent York et Pour qui sonne le glasle métamorphosent en combattant de la liberté. Ironiquement, l'homme ne s'engage pas dans l'armée américaine après Pearl Harbour et, proche d'associations d'extrême droite, n'hésite pas à être auditionné comme "témoin amical" lors de la chasse aux sorcières.

      

      

      

      

    S'il ne donne pas de noms, sa gêne devant le tribunal et son discours alambiqué révèlent une conscience politique limitée. Un trouble qui se retrouve, à la même époque, dans sa vie privée.

      

    Sur le plateau du Rebelle, fascinante évocation de Frank Lloyd Wright, Coop tombe éperdument amoureux de sa par-tenaire, Patricia Neal. Leur liaison prend fin lorsque l'actrice comprend que Gary ne quittera pas sa femme. Ravagé par le départ de Patricia, Cooper retrouve son épouse et sa fille, brisé.

     

      

     

    Désormais dépressif, marqué par l'échec de ses derniers films, la star, souffrant d'ulcères et d'une hernie, aborde le tournage du Train sifflera trois fois le visage émacié. Individualiste et anti-héroïque, le western de Zinnemann offre toutefois à Cooper l'une de ses plus belles compositions.

      

    Et lui vaut un deuxième Oscar. Mais pour l'acteur, il est bien tard. Comme si, avec le temps, son jeu lent et minimaliste perdait de son éclat.

     

      

      

    Cooper ou la transparence ?

    Il tourne encore quelques solides westerns - de Vera Cruz à L'homme de l'Ouest - mais davantage d'oeuvres insignifiantes. Et lorsqu'il incarne un vieux beau rattrapé par l'amour, comme dans l'exquis Ariane, de Wilder, c'est l'échec assuré. "Tout ça, expliquera le cinéaste, parce que les spectateurs ne pouvaient s'empêcher de voir le shérif derrière le séducteur."

      

    D'autres imputent l'insuccès de ces films aux opérations de chirurgie esthétique qui ont figé, au lieu de le rajeunir, le visage de l'acteur. Bientôt, ce dernier est marqué par la douleur. Un cancer de la prostate, puis des os, condamne l'ex-cow-boy à une mort prématurée.

      

    Et quand James Stewart, venu recevoir un Oscar spécial au nom de Gary, pleure en direct devant les caméras de télévision, le pays entier prend conscience de la disparition prochaine de Cooper.

      

    Comme si, le 13 mai 1961, avec son dernier souffle, l'Amérique tournait la page. Et perdait, à l'orée de sa décennie la plus sanglante, un peu de sa candeur.

     

     

     

     

     

     

     

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