• BERNADETTE LAFONT et PAULINE

     

     Bernadette Lafont: "Pauline est tout le temps avec moi"

    En juillet 1989, un an après la disparition de Pauline, Bernadette Lafont –alors en tournée pour la pièce «Les joyeuses et horrifiques farces du père Lalande»– recevait Paris Match chez elle, dans les Cévennes. Elle évoquait la mort dramatique de sa fille de 25 ans dans un accident de randonnée. Son corps n’avait été retrouvé qu'après trois mois de recherches et d'angoisse.

     

    Ces Cévennes où nous sommes, les aimez-vous au point de ne pouvoir vous en passer ?


    Je les ai toujours connues. II y a la maison dans les Cévennes. C'est la maison de ma mère. Elle appartenait à son père, avant elle. Elle est à mes enfants aussi. Les Cévennes, elles font partie de moi. Je les respire.

      

    Vous ne leur en voulez pas, à vos Cévennes, de vous avoir pris Pauline ?


    Mon fils David m'a dit après : «Ces montagnes, je les déteste.» Je lui ai répondu : «Pas moi. Parce que les montagnes, elles l'ont tuée, mais elles l'ont gardée.» II y a des civilisations avec des rites semblables. Des Indiens qui s'en vont mourir sur des hauts plateaux, et qui laissent la terre les dévorer. Alors, de nouveau, ils en font partie, de la terre. J'ai dit à David : «Tu sais, si on avait ramené Pauline tout de suite après sa chute, morte sur le coup, mais avec son corps intact, je ne sais pas. Peut-être ca aurait été pire ! Tandis que là, si longtemps après ! Il ne restait plus grand-chose de son corps. C'est tellement abstrait ! Il était retourné à la terre. Je n'en veux pas aux Cévennes.»

    Elles sont une sorte de Moloch qui exige des sacrifices humains ?


    Non, pas les Cévennes. Moloch ? C'est ce métier qui l'est.

      

    Que Pauline soit enterrée là-bas, près de votre maison, est-ce que ça vous réconforte ?


    Bien sûr. Mon père y était déjà et toute ma famille. Mon père est mort, il y a huit ans. Je l'adorais. Et déjà quand j'arrivais là-bas, j'allais le voir. Pauline l'adorait aussi. Heureusement qu'il est mort avant elle. Il ne l'aurait pas supporté. Il l'aimait passionnément. Ils sont là-bas, tous les deux.

      

    Vous leur parlez ?


    Non, ce n'est pas comme ca. Pauline est tout le temps avec moi. Et mon père aussi. Quelqu'un a dit : «Les morts, c'est comme les vivants, sauf qu'ils ne sont pas là». C'est vrai.

      

    Vous ne laissez pas au malheur le temps de s'installer ?


    Dans l'ancienne Egypte, il y avait une déesse qui agitait une crécelle pour chasser le chagrin. Je fais comme elle.

      

    On vous a reproché de ne pas avoir assez pleuré.


    Le dernier rôle de Meryl Streep m'a bouleversée. II s'agit d'une femme accusée d'avoir tué son enfant. Son avocat lui dit : «Vous êtes trop dure. Vous n'êtes pas sympathique.» C'est ce qui m'est arrivé. J'ai été torturée. On m'a harcelée. Quelqu'un m’a même demandé un jour de jurer que je ne savais pas où était Pauline... Je n'ai de comptes à rendre à personne sur ma peine, ni sur la façon que j'ai de la ressentir et de l'exprimer.

      

    Croyez-vous en Dieu ?


    Oui, je crois en Dieu comme l'expression de la vie. Et en Pauline... Un poète libanais a écrit : «Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont l'appel de la vie à elle-même.» 

      

    Vous êtes grand-mère.


    Deux fois. Ca, je ne l'avais jamais imaginé. Pas plus que d'être mère. Etre grand-mère m'apprend beaucoup sur les bébés, parce que j'ai eu mes enfants très tôt. Et je ne me suis pas beaucoup occupée d'eux quand ils étaient petits. Je travaillais la plupart du temps, et il valait mieux qu'ils soient avec mes parents ou gardés par des nurses plutôt que trimbalés sur des tournages. Aussi n'ai-je pas vraiment le souvenir de leurs premiers pas ni de leur première dent. Je me suis passionnée pour mes enfants autour de leurs neuf ans. Alors, avec eux, ca a été une histoire d'amour formidable. Je les ai accompagnés jusqu'à leur majorité.

    Je n'ai pas l'angoisse du temps

      

    Vous êtes favorable au matriarcat ?


    Dans ma famille comme dans beaucoup d'autres, ce sont les hommes qui sont partis les premiers. On ne laisse pas couler la famille parce que le chef est mort ou a démissionné. J'étais séparée de mon mari. J'ai donc assumé parce qu'il n'y avait plus d'homme, voilà tout.

    Si votre vie était à refaire, comment la recommenceriez-vous ?
    Quand j'étais petite, il y avait une étoile que je regardais. C'était la plus grosse, la plus lumineuse, l'étoile du Berger. Je lui confiais mes rêves. Je voulais être danseuse classique. Je suis devenue comédienne. Alors j'aimerais changer et faire de la danse. Mais toujours avec un public.

      

    Ce serait, de toute façon, un itinéraire de garrigue, hors des sentiers battus ?


    C'est parce que je suis un «rebroussier», comme on dit ici, chez moi. Un «rebroussier» est quelqu'un qui dit toujours «non». Je suis d'une famille, de mère et de père gardois, camisards, résistants. Au début de ma carrière, je n'ai pas dit «non», mais j'ai tourné avec Chabrol, Truffaut et Doniol-Valcroze, et on a pensé que j'étais contre le système. Or, j'étais dans un mouvement qui a cassé la baraque.

      

    Avez-vous la nostalgie de la Nouvelle Vague ?


    J'en ai de la tendresse. François Truffaut est mort. II reste Chabrol. Quand on se voit, c'est comme si on ne s'était pas quittés. On vit au même rythme, on a les mêmes amours, les mêmes rires et les mêmes indignations. Comme des copains de collège.

      

    Vous battez-vous pour retenir le temps ?


    Le temps va très vite. Je n'ai pas le temps. J'ai tout le temps plein de choses à faire. Puisque j'aime bien tout, j'aime bien la vie et je ne suis fermée à rien. Mais il me reste si peu de temps que je n'ai pas de projets lointains. Mon projet, c'est «Les joyeuses et horrifiques farces du père Lalande», un vrai spectacle de baladins avec 27 comédiens, danseurs et musiciens. La musique a été écrite par mon fils David. On est en tournée dans le Sud-Ouest et le Languedoc. Cela me porte jusqu'au 31 juillet. Après on verra. Je n'ai pas l'angoisse du temps. 

      

    Article écrit par Monsieur Jean- François CHAIGNEAU

    Paris Match -

    Le 26 juillet 2013 |Jea
      
     
     
     
     
     
     
    n-François Chaigneau
    « SHIRLEY MacLAINE CHRISTIANE MINAZZOLI »
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