De la même manière que le roman éponyme de Cormac McCarthy, le filmLa Route m’a longtemps attiré sans que je franchisse le pas de le voir.
Si dans le cas du roman, c’est surtout l’inertie qui me retint pendant assez longtemps, je tenais à ne pas voir le film avant d’en avoir lu l’oeuvre originale. Et après l’avoir fait, j’avais évidemment peur d’être déçu par une adaptation qui trahirait le chef-d’oeuvre littéraire.
Et puis curiosité aidant, j’ai finis par regarder La Route en compagnie de l’oeil acéré de mon grand frère. Dans un contexte post-apocalyptique réaliste, le film met en scène des personnages livrés à eux-même après la fin du monde tel que nous le connaissons.
Des années après qu’un cataclysme ait tout ravagé et laissé le monde mort et l’humanité sans espoir, un homme et son fils survivent en suivant une route vers la mer. Dans les ruines du monde d’avant, déjà pillées depuis longtemps, ils croisent parfois des survivants.
Mais comment faire confiance dans un monde de cendres où chacun lutte pour survivre et où les groupes de cannibales sillonnent les campagnes à la recherche de proies ? Livrés à eux-mêmes, l’homme et son fils marchent pour survivre.
Le film suit l’essentiel de la trame et du propos du roman, en l’adaptant à son format. Un peu moins contemplatif, un peu moins lent, certaines scènes ont été ajoutées pour compléter une histoire assez vide d’événements. Il n’en demeure pas moins que le message du film demeure tout à fait en phase avec celui de l’oeuvre originale, dans toute sa puissance narrative et philosophique. Malgré un univers foncièrement pessimiste, La Route est un discours sur la vie et sur la persistance de l’espoir lorsque tout semble perdu.
Envers et contre l’apocalypse, les personnages survivent et entretiennent leur « feu intérieur ».
Pas par espoir de reconstruire ni de retrouver leur vie d’avant, mais par simplissime et irrépressible désir de vivre, un jour de plus.
Comme le roman, le film est dépouillé de tout élément superflu. En ce situant au niveau des individus, et en laissant de nombreux vides dans le récit, jusqu’aux personnages et aux lieux qui sont anonymes, l’histoire est autant montrée que suggérée. A chacun de se projeter sur le récit sa propre imagination et ses propres peurs. Aux préoccupations de survie les plus triviales comme la recherche de la nourriture ou de chaussures utilisables le disputent les pensées philosophiques les plus profondes sur le sens et la fragilité de la vie, la morale et la notion d’humanité. Des thèmes extrêmement lourds qu’abordent l’homme et son enfant avec la simplicité de ceux qui n’ont plus rien.
Des décors aux personnages en passant par la bande-son, l’ensemble des choix esthétiques du film sont très cohérents et teintent l’ensemble d’une atmosphère sinistre comme j’ai rarement vu au cinéma, tout à fait adaptée au propos du film.
La musique calme au piano alterne avec les sons de rock atmosphérique plus agressifs pour les scènes de tension.
Dans des espaces gris et désertés très impressionnants, les personnages suivent leur route avec l’acharnement du désespoir. Ou les mènera-t-elle ? A travers les épreuves et l’angoisse, peut-être vers une amélioration de leur situation. Mais sans doute pas.
Bien que d’autres personnages fassent parfois leur apparition sur le chemin, ce sont bien l’homme et son fils, Viggo Mortensen et Kodi Smith-McPhee, qui crèvent l’écran et s’imposent comme une évidence.
Le personnage de la mère -interprété avec justesse par Charlize Theron- fait également quelques apparitions lors de flashbacks où un passé idéalisé tranche avec la situation présente.
Heureusement discrets, ces ajouts ne compromettent pas du tout l’esprit de l’oeuvre, bien au contraire. Impossible de rester insensible à la souffrance des personnages, de ne pas comprendre leur espoir irrationnel et de ne pas trembler d’horreur face à leurs infâmes dilemmes moraux où le bien et le mal deviennent des concepts de plus en plus flous.
La Route est un film immense, qui réussit par sa simplicité et sa profondeur à inventer une nouvelle vision du genre post-apocalyptique.
En digérant parfaitement le roman de McCarthy, John Hillcoat l’adapte aux contraintes du cinéma avec un respect absolu de son univers et de son message. Il traduit le chef-d’oeuvre littéraire en un film bouleversant et d’une violence psychologique extrême.
Profondément intelligent, c’est un chef-d’oeuvre du cinéma contemporain, plus plombant pour le moral que n’importe quoi d’autre, et magnifique à en chialer.
-Saint Epondyle-